Boucles associatives et évolution temporelle d’une psychothérapie
Par Daniel LysekDans des textes ultérieurs, j’ai repris et amplement développé l’argument principal de cet écrit: l’utilité de suivre les boucles associatives qui se forment au cours d’un travail analytique. S’il n’a pas qu’une valeur historique, c’est parce qu’il traite spécifiquement de la psychothérapie, alors que les développements que j’en ai faits ailleurs concernent essentiellement la situation analytique pure.
BOUCLES ASSOCIATIVES
ET EVOLUTION TEMPORELLE D’UNE PSYCHOTHERAPIE
Par Daniel Lysek
Texte présenté au 2ème Congrès francophone
de la Fédération européenne de Psychothérapie psychanalytique
LA PSYCHOTHERAPIE AVEC FIN, LA PSYCHOTHERAPIE SANS FIN
La question du temps en psychothérapie
Université de Lausanne, 13-15 septembre 2002
La notion de boucle associative définit une structure spécifique que peut prendre le matériel d’une séance d’analyse ou de psychothérapie. Elle provient de la micropsychanalyse, mais s’applique aussi au cadre des les psychothérapies analytiques. De quoi s’agit-il ? Le matériel de séance forme une boucle associative lorsqu’un thème, qui a été abordé en début de séance, a cédé la place à divers autres éléments, pour revenir en fin de séance, mais cette fois avec des mots qui livrent le sens inconscient de ce qui a été verbalisé au commencement. Il s’est donc produit un glissement circulaire d’un thème à un autre ; ces enchaînements forment une série dont le contenu final permet l’interprétation de l’élément initial. Après coup, on s’aperçoit que les éléments intermédiaires sont en rapport latent à la fois avec le point de départ et avec le point d’arrivée des associations. En général, cela se fait à l’insu de l’analysé, sauf si l’on attire son attention sur ce phénomène.
Le thème des boucles associatives entre dans le cadre de ce congrès parce qu’elles s’inscrivent dans la question du temps en thérapie : le développement d’une boucle est un temps cyclique, qui rythme les séances et qui influence le déroulement temporel du travail. A partir de là, on peut se demander si la formation de boucles associatives joue un rôle dans l’évolution du travail vers une thérapie avec fin. J’espère arriver à vous convaincre que oui.
Il existe de nombreux écueils sur lesquels une psychothérapie d’inspiration psychanalytique peut venir buter. Dans son célèbre article, L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, Freud (1937) insiste sur l’importance de la constitution du sujet pour l’évolution temporelle du travail. Par exemple, la viscosité de la libido ou son excessive plasticité. La viscosité libidinale amène une stagnation. Malgré des interventions adéquates, la psychothérapie est prise dans une routine peu productive, il devient impossible d’établir des liens avec l’inconscient et la relation transférentielle n’évolue pas. A l’opposé, on peut se trouver dans une dynamique où il se passe beaucoup de choses ; les séances sont régulièrement marquées par des prises de conscience, des connexions se font, mais aucun changement durable ne se produit dans la vie du sujet ; ce type de dynamique est plus satisfaisant pour le thérapeute, surtout s’il s’intéresse aux mécanismes profonds sans trop se soucier de la durée de la thérapie ; en fait, elle n’est opposée à la première qu’en apparence, car toutes deux sont figées dans le temps. D’ailleurs, Gilliéron (1997) montre bien, dans son Manuel de psychothérapies brèves, que laisser s’installer une telle dynamique conduit à une impasse thérapeutique.
Effectivement, ces cas provoquent des problèmes techniques ; il n’est pas rare que le thérapeute finisse par se trouver en difficulté. Lassé, il peut s’enfermer dans une écoute passive et ne plus assez intervenir ; ou à l’inverse se laisser emporter à des interventions intempestives. Inutile de préciser que cela peut conduire à une rupture de la relation, à une réaction thérapeutique négative ou à une impossibilité de conduire le travail à terme.
Face à ces dangers, tout point de repère quant à l’avancement du travail est bienvenu.
Dans son livre de technique, Greenson (1967) recense les facteurs s’opposant à la progression du travail analytique. Ces critères me semblent s’appliquer aussi à la psychothérapie. Les voici, en résumé :
- les défenses alimentant les résistances
- la peur du changement
- la culpabilité inconsciente et le besoin de punition
- le transfert négatif visant à mettre le travail en échec
- un transfert érotisé dont la frustration suscite de l’hostilité
- le sadomasochisme qui pousse à la recherche de souffrance comme plaisir
- l’impulsivité et la recherche de gratifications immédiates
- les bénéfices secondaires de la névrose.
Ces indicateurs ont un point commun : pour s’en servir, le thérapeute doit faire appel à des références extérieures à la séance elle-même. Il interprète des indices fournis par le matériel. Dans les cas favorables, il décodera facilement le contenu latent camouflé. Mais lorsque les indices sont faibles, il aura de la peine à saisir précisément ce qui est caché à l’intérieur du sujet.
Dans les situations délicates, il se révèle utile de disposer d’un autre type d’informations. Les boucles associatives me paraissent précisément répondre à ce besoin. En effet, c’est la séquence elle-même qui fournit des renseignements ; c’est l’enchaînement qui donne un sens, et non seulement les maillons eux-mêmes ; c’est la structure formée par l’ensemble du matériel, et non seulement tel élément, qui est significatif et interprétable. Si on suit le développement des boucles, on se situe mieux dans l’évolution temporelle du travail ; on a plus d’éléments pour décider d’une intervention ou de continuer à se taire.
Mais voyons cela en détail.
Comme la notion de boucles associatives provient de la micropsychanalyse, je commencerai par dire deux mots de ce qui se passe en micropsychanalyse. Ensuite, je suggérerai que l’on peut aussi observer des boucles associatives dans le cadre d’une thérapie en séances de 50 minutes. Enfin, j’aborderai la question de leur utilité pratique ; j’essayerai de montrer qu’elles peuvent servir d’indicateur de la progression du travail en fournissant des informations sur la dynamique inconsciente et qu’elles constituent un instrument d’interprétation. Je conclurai en revenant sur la question de la fin du traitement : il semble en effet que, lorsqu’elles se forment et qu’elles peuvent être utilisées dans des interventions, la psychothérapie a plus de chances d’être menée à terme.
Commençons par rappeler les spécificités du setting micropsychanalytique.
La micropsychanalyse est une forme de psychanalyse freudienne, mais elle apporte des éléments nouveaux tant au point de vue technique que sur le plan théorique. Silvio Fanti, qui en est le fondateur, en expose les innovations dans L’Homme en micropsychanalyse. Dit de manière extrêmement succincte, la micropsychanalyse se caractérise par des séances plus longues et plus fréquentes que dans la technique classique. Elles durent 2 à 4 heures d’affilée et ont lieu 5 ou 6 fois par semaine : c’est ce que nous appelons les longues séances. Elles permettent de concentrer le travail analytique et de surmonter assez rapidement certaines résistances.
Mais les longues séances ne sont pas la seule modification que Fanti a apportée à la cure type. A certains moments d’une micropsychanalyse, on intègre aux séances l’étude de documents fournis par l’analysé. Nous appelons cela l’introduction d’un « appoint technique » : à telle phase du travail, l’analysé examine en détail des photographies qu’il a apporté en séance ; il s’agit de toute photo le concernant, des photographies de lui enfant ou adolescent, des photos où il est avec ses parents, avec d’autres membres de sa famille ou avec des amis… A d’autres phases, il étudiera de la même manière sa généalogie ou les lieux où il a passé son enfance…
L’étude de documents personnels se fait selon une technique précise et n’occupe que peu de temps dans l’ensemble de l’analyse, mais c’est un puissant stimulant du travail. C’est évidemment l’analysé lui même qui examine ces documents ; sur le divan, il exprime ce qu’il perçoit et ressent, à la suite de quoi ces éléments s’élaborent dans les associations libres. Ainsi, le travail à partir de documents fait avancer l’analyse en favorisant la remémoration d’éléments passés qui autrement resteraient inaccessibles ; il catalyse le revécu en séance d’expériences infantiles inscrites dans l’inconscient. A partir de là une élaboration s’effectue et des connexions s’établissent avec des représentations refoulées.
De le même manière que les PIP se sont développées à partir de la cure-type, il existe une psychothérapie d’inspiration micropsychanalytique. Elle se caractérise par la possibilité d’allonger les séances, que ce soit de manière ponctuelle ou systématique (p. ex. des séances 1 h 30). D’autre part, on pourra y introduire l’étude de documents, comme les photographies ou l’arbre généalogique.
En somme, la démarche micropsychanalytique reste psychodynamique : elle vise à dégager la cause des conflits psychiques en remontant jusqu’à leur source inconsciente, c’est-à-dire jusqu’aux désirs refoulés au cours du développement de l’individu et aux mécanismes de défense érigés contre eux.
Au plan technique, elle cherche à potentialiser la méthode associative, en faisant se développer des chaînes d’associations libres sur plusieurs heures d’affilée, jour après jour. Inutile d’insister sur le fait que l’association libre est l’essence même de l’analyse, le seul moyen d’accéder à l’inconscient.
C’est là que j’en reviens aux boucles associatives.
Ce que je vais en dire provient avant tout à la pratique des longues séances, mais cela s’applique aussi à des séances de 50 minutes. Cependant, la formation de boucles complètes y est moins fréquente et moins perceptible. En micropsychanalyse, on constate effectivement que les boucles ont besoin de temps pour se former et qu’elles se referment généralement en plus d’une heure. D’autre part, elles sont plus significatives lorsqu’elles sont alimentées de plusieurs côtés à la fois, par des revécus de l’enfance, par des associations liées à un appoint technique, par des images de rêves, etc. Ceci dit, j’émettrais volontiers l’hypothèse que la formation de boucles associatives traduit une disposition naturelle de la pensée humaine, qui apparaît dès qu’on libère la parole. Cela me permet d’ajouter que tout psychothérapeute ayant une expérience de l’analyse les connaît. Chaque thérapeute perçoit ces boucles pendant qu’il écoute, même s’il ne les conceptualise pas comme tel. Je pense même que ces perceptions sont souvent le terreau de l’interprétation. Voilà pourquoi il m’a paru utile d’en parler ici.
Dans les phases où le travail avance bien, l’analysé ne pense plus à ce qu’il dit, mais, pourrait-t-on dire, ça pense en lui ; alors, des vécus précoces reviennent en mémoire et sont revécus avec leur charge émotionnelle ; le fœtus, le bébé et l’enfant tels qu’ils se sont inscrits dans l’inconscient se manifestent ! Ainsi, le sujet se met à revivre son passé et à transférer en séance les principales expériences archaïques dont il porte la trace au fond de lui. Lorsque ces contenus s’élaborent assez longtemps en association libres, le conflit inconscient sous-jacent se dévoile spontanément ou devient interprétable. Et ceci également grâce à l’enchaînement des idées exprimées, par le fait que le cheminement est significatif en lui-même. Autrement dit, un contenu manifeste donne lieu à des enchaînements associatifs en cascades qui finissent par le relier avec ses correspondants inconscients. C’est donc une boucle associative qui se forme.
Voici plus précisément comment cela se passe. Le point de départ d’une boucle associative est la verbalisation d’un contenu manifeste (cela peut être une pensée intrigante, une émotion inexplicable, un comportement répétitif, un rêve ou une fantaisie…). Puis cet élément de départ fait place à une succession d’associations qui traitent d’autre chose (par exemple des vécus d’adolescence, telle activité sexuelle, des images oniriques, un symptôme, un lapsus ou un acte manqué…). Or, tous ces contenus ont un lien inconscient entre eux et avec l’élément de départ (c’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils se sont présentés à l’esprit de l’analysé).Et finalement, le matériel verbalisé après un certain temps constitue l’explication analytique de l’élément initial. La boucle s’est bouclée !
L’hypothèse qu’on peut formuler à propos des boucles associatives est la suivante : on sait que tous les contenus inconscients refont surface de manière déformée et camouflée ; quand le travail a trouvé son rythme, il y a un déterminant inconscient qui guide ce qui vient à l’esprit (il s’agit de la représentation-but dont parlait Freud) ; c’est le même déterminant inconscient qui fait affleurer les souvenirs qui se relient à telle pensée, le contenu onirique qui s’y connecte ensuite, puis le symptôme, ou tel affect… et ainsi de suite… Chacun de ces éléments est un maillon relié à un autre ; donc, chacun d’eux est indispensable pour que l’inconscient puisse s’exprimer. Voilà ce qui détermine le développement d’une boucle associative. Et voilà pourquoi sa forme traduit précisément les voies par lesquelles l’inconscient s’exprime.
Prenons un exemple.
Un homme de 25 ans commence sa séance en se demandant pourquoi il échoue toujours la première fois qu’il se présente à un examen, bien qu’il connaisse parfaitement la matière ; il doit se présenter deux ou trois fois avant de réussir n’importe quel examen. Après un certain temps, il oublie ce thème et il se met à parler de son couple ; à ce propos, un rêve récent lui remet en mémoire la jalousie qu’il a éprouvée lors d’une soirée où sa femme a passé un long moment en tête à tête avec son directeur de thèse. L’analysé ne peut s’enlever de la tête que ce dernier a essayé de la séduire et qu’il y est peut-être parvenu. Il revit sur le divan la scène violente qu’il lui a faite de retour à la maison. Plus tard dans la même séance, il est totalement plongé dans un passé plus lointain et, tout à coup, une période de son enfance lui revient : lorsqu’il avait six ans, sa mère avait découvert que son père avait une maîtresse ; ce fut un temps de disputes conjugales, qui laissaient l’enfant écartelé. D’autant plus que chaque conflit se terminait de la même manière : la mère jetait son mari à la porte de l’appartement, puis restait inconsolable jusqu’à qu’il réapparaisse, tout penaud, quelques jours plus tard. L’analysé prend alors conscience qu’il reproduit, face à l’examinateur, la dynamique du conflit parental : le rejet et le retour.
Si le moment est venu, la remémoration qui ferme la boucle donne une bonne base pour interpréter le rêve ou le symptôme névrotique. En restituant au sujet les différents maillons de la séance, on a une bonne chance de toucher en profondeur.
On pourrait donc se représenter le travail de séance – qu’il se fasse sur le divan ou en face à face – comme le développement de boucles associatives. En transmettant cette représentation au client, on diminue souvent la tendance à rationaliser ou intellectualiser. Cela peut l’amener à accepter qu’il suffit qu’il se laisse aller à dire librement, sans effort de réflexion volontaire, pour que la dynamique associative prenne son essor. Il pourra alors constater que ses pensées et ses affects se mettent peu à peu en contact avec des contenus inconscients. En somme, ça pensera tout seul en lui, si l’on peut s’exprimer ainsi. Et des boucles associatives significatives se formeront.
En pratique, il est évident que ça n’est pas aussi simple ! Non seulement les psychothérapies n’évoluent pas de manière linéaire, des phases productives pouvant déboucher sur des périodes de surplace, voire de régression. De plus, le cadre plus restreint des psychothérapies analytiques – par rapport à la cure type – ne permet pas très souvent d’observer, me semble-t-il, les phases qui caractérisent la durée d’une psychanalyse et qui permettent de se situer dans l’évolution temporelle du travail. Je fais allusion aux trois phases que décrit Olivier Flournoy (1979) dans Le temps d’une psychanalyse : d’abord celle du narcissisme initial, puis celle du conflit œdipien, enfin celle de la résolution du conflit, avec retour à un narcissisme différent de celui de départ, marqué par le désinvestissement de la cure et l’investissement d’autres activités.
C’est à cause de ces limites que le repérage des boucles associatives me paraît avoir une utilité pratique en psychothérapie. Quand on a la notion de boucles associatives en toile de fond de son écoute, cela modifie ce que l’on entend de l’inconscient. Sans qu’il soit évidemment question de renoncer à l’attention flottante, le thérapeute va aussi suivre l’enchaînement des idées pour lui-même. Il va s’apercevoir que le cheminement qu’empruntent les pensées et les émotions successives a une signification propre. Ce n’est plus seulement l’idée faisant irruption, l’Einfall, qui signifie l’inconscient. La manière dont les éléments s’emboîtent les uns dans les autres révèle également le psychisme profond.
Cette écoute permet d’affiner la compréhension des mécanismes inconscients en jeu dans la séance. Elle donne un support de plus pour fonder l’interprétation, en donnant sens à la forme que dessinent les pensées et affects exprimés. Les renseignements ainsi fournis viennent compléter ceux que livrent la clinique, les manifestations transférentielles ou les mouvements contre-transférentiels. Souvent, ils permettent de percevoir le détail des structures existant au sein même de l’inconscient.
Un nouvel exemple l’illustrera.
Un analysé raconte qu’il est chamboulé depuis quelques semaines parce qu’il est amoureux d’une femme mariée, que le désir de partir avec elle le tenaille, mais il se sent paralysé par la culpabilité de briser ainsi un ménage. Au cours de la même séance, il en vient à parler des difficultés relationnelles qu’il rencontre sur son lieu de travail : il est en conflit avec la hiérarchie. Justement, hier, son chef l’a tellement énervé qu’il a fini par l’insulter, au risque de se faire licencier. Tout en décrivant en détails sa situation actuelle, il mentionne son dernier rêve, un cauchemar : il traversait une allée bordée de statues géantes, des corps d’hommes d’un côté, des femmes de l’autre ; il s’approche d’une statue tombée au sol et démantelée ; il reconnaît avec horreur le visage de son père et se réveille en sueur. Ce rêve fait venir une cascade de pensées, parmi lesquelles se présentent plusieurs souvenirs d’enfance ayant pour point commun une rivalité avec ses frères. Plus tard, l’analysé a tout d’un coup très chaud et est envahi par une trouble excitation sexuelle. Il n’a plus rien à dire, mais il se revoit brusquement courir, tout petit, dans le lit de sa mère et se blottir contre elle, alors que son père vient de s’en aller au travail.
Cette boucle associative exprime de manière très nette le complexe d’Œdipe. Vous me direz qu’il n’y avait pas besoin de suivre la boucle pour le saisir ! Effectivement. Pourtant, il me semble qu’il y a un plus apporté par l’idée qu’une boucle se forme : cette boucle révèle aussi la structure interne du complexe d’Œdipe de cet homme. Apparemment, c’est le pôle paternel qui lui fait problème ; or, la boucle montre que le noyau chargé et conflictuel se trouve au niveau de l’attachement à la mère et des désirs incestueux qui sont plus camouflés. Sans se représenter la boucle, on risque d’intervenir trop tôt et ainsi de dévier le matériel ailleurs. Au contraire, si l’on attend que la boucle livre son secret, on pourra faire creuser la question de la mère.
Quand a-t-on le plus de chance d’observer des boucles associatives ? Elles se développent seulement quand le travail est bien engagé, c’est-à-dire que l’analysé s’exprime très librement et que de longues chaînes d’associations se suivent. Il faut donc un certain insight et un transfert pas trop ambivalent. Il ne faut donc pas se trouver dans une phase de résistance. Lorsqu’il en va ainsi, le travail prend sa véritable dimension. Répétons-le, c’est moins fréquent en psychothérapie, mais ça arrive ponctuellement et ça vaut alors la peine de saisir au vol cette formation de boucle.
De même qu’un psychanalyste conduisant une psychothérapie reste analyste, un micropsychanalyste psychothérapeute reste analyste, et en particulier il est à l’écoute d’un cheminement pour repérer les boucles associatives. Comme j’exerce aussi la psychothérapie micropsychanalytique, j’ai constaté que des boucles associatives se forment aussi dans ce cadre. Mais il y a un différence notable : en micropsychanalyse, on peut facilement favoriser le plein développement d’un boucle en allongeant la séance. En psychothérapie, cela n’est pas toujours possible. Ainsi, a-t-on dans ce cadre des boucles ébauchées, dont on peut avec de l’expérience inférer la partie manquante. D’ailleurs, on peut aussi pallier au manque de temps par une intervention. Si on touche juste, une boucle qui se serait bouclée en 2 heures se referme en 45 – 50 minutes, c’est-à-dire qu’on a juste le temps pour que le matériel de fin de séance donne le sens latent de ce qui occupait l’esprit du sujet en début de séance.
En voici un exemple, tiré d’une psychothérapie. Une femme de 36 ans parle de ses échecs sentimentaux. Elle est toujours déçue des hommes qu’elle rencontre, mais elle n’arrive pas à en dire plus. Après un silence, elle pense à ses dernières vacances. Elle parle de son émotion artistique lorsqu’elle a découvert le David de Michel Ange. Nouveau blanc. Elle se plaint pour la énième fois de ne pas comprendre la cause de ses crises de claustrophobie, dont la dernière est précisément survenue au cours de ces vacances dont elle reparle de manière badine et superficielle. A ce point, le thérapeute suppose que la structure de cette séance exprime des désirs œdipiens refoulés. Il lui demande comment se passaient les vacances de son enfance. Un flot de souvenirs affleurent, tournant autour du camping où ils allaient quand elle avait 10-12 ans. Tout d’un coup, à 5 minutes de la fin de la séance, elle éclate en sanglots. Elle vient de se souvenir d’avoir surpris ses parents nus et enlacés dans la caravane un après-midi. De ce jour-là, l’image de son père a été définitivement ternie.
Le cheminement qui part des déconvenues amoureuses aux vacances et au David prend sens par les silences, témoins du refoulement d’un désir incestueux. Le bouclement de la boucle, précipité par l’intervention, fait s’exprimer un vécu sexuel non intégré et éclaire l’étiologie de la claustrophobie. Dans les séances suivantes, de nouvelles boucles élaboreront les désirs et les défenses inconscientes.
Ainsi, une boucle peut indiquer le moment opportun pour intervenir. Comme dans cet exemple, il peut s’agir d’une interprétation indirecte. Justement, un mot à propos des interprétations. Comme le dit bien Andreoli (1998) dans son article La fin du traitement dans la psychothérapie analytique, l’interprétation est « le levier du changement, qui rend possible la fin de la thérapie ». Mais il s’agit « d’une activité complexe et spécifique qui comporte plusieurs éléments distincts ». D’après mon expérience, les boucles associatives font partie de ces éléments. Les interprétations me paraissent plus efficaces lorsqu’elles épousent la forme d’une boucle naturelle ou quand elles permettent à une boucle de se refermer comme elle l’aurait fait spontanément si la séance avait duré assez longtemps. Dans ce cas, elle permet souvent d’activer le travail sans trop hérisser de résistances. En d’autres termes, cela contribue à mener la psychothérapie à terme dans les meilleurs délais possibles.
Nous voilà donc revenus au thème de ce congrès : psychothérapie avec fin – psychothérapie sans fin. Et pour cause. On constate en effet que les boucles associatives tendent à disparaître lorsqu’un transfert négatif s’installe. C’est d’ailleurs un moyen de repérer un transfert négatif inexprimé chez un obsessionnel et de mettre le thérapeute en garde contre le risque d’une psychothérapie sans fin. Inversement, l’apparition de boucles associatives rythmant régulièrement les séances constituerait un facteur de bon pronostic.
En conclusion, cette communication vise à attirer l’attention sur le phénomène des boucles associatives, parce qu’il en est rarement question, bien qu’il soit exploité intuitivement par les psychothérapeutes analystes. Il peut se révéler utile de le conceptualiser si cela contribue à mieux se servir de ces boucles associatives, soit pour en tirer des informations sur l’inconscient, soit pour étayer des interprétations. D’autant plus que cela pourrait augmenter les chance de mener une psychothérapie à terme dans un délai raisonnable.
Bibliographie
Andreoli A., La fin du traitement dans la psychothérapie analytique in Psychothérapies, vol XVIII, 1998, N° 4, p. 213.
Fanti S., L’homme en micropsychanalyse, Denoël, Paris, 1981.
Flournoy O., Le temps d’une psychanalyse, Belfond, Paris, 1979, p. 67.
Gilliéron E., Manuel de psychothérapies brèves, Dunod, Paris, 1997, p. 13.
Greenson R., Technique et pratique de la psychanalyse (1967), PUF, Paris, 1977, p. 123-124.