Ordalie et adolescence : questionnements
par le Dr + F. JEANPARISCe texte témoigne de l’implication de François Jeanparis dans les activités de la société de micropsychanalyse. En 2001, le regretté Pier Luigi Bolmida a organisé un important congrès sur le thème de l’adolescence. François Jeanparis y a présenté ce texte qui me semble représentatif de sa culture analytique et de son sens clinique aiguisé. Son intervention a été publiée en français dans le N° 31-32 du Bollettino dell’Istituto Italiano di Micropsicoanalisi (2003).
ORDALIE ET ADOLESCENCE : QUESTIONNEMENTS
Par le Docteur F. JEANPARIS
Psychiatre Micropsychanalyste Champagnole (France)
Texte présenté au congrès sur l’adolescence, Aoste, Octobre 2001.
Introduction
Tout, d’abord, je voudrais remercier le docteur Pier Luigi BOLMIDA, qui a donné beaucoup de son temps, et de son énergie, pour que nous soyons tous là, autour de cette question majeure de l’adolescence.
Au printemps 2001, au cours du séminaire des instituts francophones à Paris, j’avais présenté une première approche sur le thème ordalie et adolescence, en traitant la question des conduites ordaliques et de la psychopathologie.
Aujourd’hui, je souhaite aborder un peu plus en profondeur sous la forme de questionnements, autour des conduites ordaliques au cours des remaniements de l’adolescence. Compte tenu de l’importance de l’agir à cette époque de la vie, je laisserai de côté la question des fantasmes ordaliques. J’irai du plus général, en traitant des réaménagements préconscients au moment de l’adolescence, au particulier, en donnant un exemple des conduites assez typiques de cette période, avec l’ordalie.
Adolescence.
Certaines bases, ayant déjà été posées, par les collègues qui m’ont précédé, je proposerai un rapide survol des principaux aménagements – réaménagements de cette période pour me focaliser sur le sujet de l’ordalie à l’adolescence.
Pour Freud, l’adolescence est en général un mauvais moment à passer pour les parents, et il faut savoir être patient ; il sera rejoint quelques décennies plus tard par Winnicot, qui n’attache pas plus d’importance que cela à cette période.
Cela n’empêche pas certains de vouloir autonomiser l’étude et quelquefois le soin de l’adolescence.
Le matériel que je présente, concernant l’adolescence, provient principalement des sources suivantes :
– psychothérapies individuelles
– ou bien lorsqu’il s’agit de la reconstruction de l’adolescence au cours de psychothérapies d’inspiration micropsychanalytique chez des adultes, dont je présenterai succinctement une vignette clinique.
– ainsi que les adultes qui évoquent l’adolescence de leurs propres enfants, au cours de leur travail psychothérapeutique ou psychanalytique, Je prendrai comme point de départ la définition classique de l’adolescence et son trépied : puberté, inceste, parricide ; c’est à dire que sous la poussée pubertaire, essentiellement biologique, des transformations psychosomatiques vont s’opérer, ainsi que des remaniements dans le domaine du psychique.
Remaniements qui vont dans le sens d’une exacerbation conflictuelle, surtout observable au niveau oedipien car les désirs sont activés, et les défenses doivent être renforcées.
Au plan de l’organisation psychique, à l’adolescence, les choses se passent au niveau du préconscient, défini par Daniel LYSEK (12), dans son article, la notion d’ICS : » le PCS est le niveau de réalité psychobiologique, où les rejetons de l’ICS, les équations d’équivalents psychobiologiques et les retour du refoulé, se conjuguent avec les structures mnésiques, sensorielles, végétatives, motrices et associatives du SNC ».
C’est au niveau des objets préconscients, que s’effectuent les changements de l’adolescence, objets PCS, définis par Pierre CODONI (4), dans son article sur le rêve comme « des substituts des objets ICS « … « ces objets PCS sont en résonance constante avec les objets ICS ».
La plupart des études traitant du sujet des remaniements autour du pubertaire sur le pôle sexuel débouchent sur des solutions de compromis comme des changements d’objets- buts, qu’expriment les investissements de jeunes du même âge, dans les bandes par exemple, ou bien parfois sur un rejet du corps, ainsi qu’en parle Philippe GUTTON (10) à propos des processus d’obsolescence, qui désignent la désincarnation parentale des scènes pubertaires, qui permet de déboucher sur une idéalisation de l’objet parental.
Cette idéalisation sera aux premières loges, quand il sera question de l’ordalie, et de faire appel à Dieu pour résoudre une interrogation.
Au plan dynamique, si le sexuel est bien étudié, il en va tout autrement pour le versant agressif du travail de l’adolescence.
Dans la conclusion de son article l’agressivité, Pierre CODONI (5) dit : »…l’origine de l’agressivité se confond avec celle de la pulsion de mort-de vie, qui réside dans l’incompatibilité énergie- vide «.
Il fait de l’angoisse de mort, un moteur essentiel pour toute psychanalyse.
Par ailleurs il s’étonne de la position freudienne, toujours maintenue, qu’il n’y a pas de représentation de la mort dans l’ICS, mais que celle- ci y est présente sous la forme « d’un analogon de la castration ».Il est assez rarement précisé, que la partie, ou, le morceau castré, et rejeté, est la partie morte, donc la mort elle- même On retrouve la même chose au plan anal et oral, comme j’avais tenté de le démontrer dans un cas d’autisme.
Pour ce qui a trait à l’adolescence, la mort, au travers de l’agressivité cliniquement observable s’exprime au niveau phallique dans les désirs de meurtre, au niveau anal dans les poussées d’emprise teintées de sado- masochisme, au plan oral dans les désirs d’annihilation.
Le corps
Avec tous les changements qui l’animent à cette époque de la vie, on se retrouve sur
un plan psycho -biologique, ce que Nicolas PELUFFO(14) confirme lorsqu’il
s’interroge sur la structuration de la voix, et l’on sait combien sont importants, les problèmes liés à la mue à l’époque de l’adolescence.
Il est possible de se représenter le renoncement au corps de l’enfant chez l’adolescen, par les modifications du corps chez le sportif par exemple, comme en parle L. BAL.
Le corps est donc le support de la compatibilité, chez un sujet conscient de sa force.
Dans la troisième voie évoquée au plan du conflit psychique par Daniel LYSEK, l’incompatibilité qui était de mise dans l’enfance saute, débouche sur un inceste et un parricide possibles.
C’est ce que j’ai tenté de définir à Paris comme une « capacitation » adolescente.
C’est ainsi que certains ont pu parler du syndrome du homard, en faisant allusion au nécessaire abandon d’une ancienne peau, si l’on voulait parler comme Didier ANZIEU, avec le Moi – peau.
Les limites du corps et la quête des limites psychiques vont permettre de constituer le surmoi.
Habituellement, les principales définitions semblent d’ordre sociologique, car elles tentent de faire le lien entre le plan infantile, habituellement bien décrit, et le plan adulte, les deux étapes étant reliées par ce que l’on tente de définir par l’adolescence.
Cette définition sociologique qui s’inscrit donc dans le temps, entre un avant et un après, pose la question de l’adolescence qui se prolonge, comme notre époque *semble s’y être habituée, avec des adolescents qui restent chez leurs parents très longtemps et comme dans le champ clinique ainsi que semblerait le démontrer le cas de Madame Sandrine M.., qui fait une P.I.M *pour des phobies d’impulsion.
En reparcourant son adolescence, elle s’aperçoit que pour des raisons endogènes, elle n’a pas pu « faire sa jeunesse », se fixe sur un objet sexuel non disponible à ce moment là, s’arrête quasiment dans son développement, et refuse l’accès à la sexualité génitale, vivant cette approche de la sexualité dans une angoisse majeure, arrête en quelque sorte les remaniements et les transformations de la période adolescente. Elle finit, malgré tout, après un certain temps, par entamer une relation avec le jeune homme, l’épouse, hérite donc d’un nom d’emprunt, a un enfant et redémarre une période que l’on peut pratiquement qualifier d’adolescente, avec des sorties, des amitiés, des relations extra-conjugales, jusqu’à un coup d’arrêt amené par une I.V.G.
La mort, représente le terme ultime qui est là pour rappeler en quelque sorte la Loi dans la position classique, ainsi que le souligne mon ami Moussa NABATI (13), avec lequel j’ai présenté un court article à Dôle en Juin dernier, avec la mort donnée par le père, où l’on peut parler d’une faille surmoïque sur le versant paternel.
D’ailleurs, la pulsion agressive, pour Pierre CODONI, se résout dans la pulsion de mort-de vie ;ce qui nous permet de faire le lien avec la deuxième partie de l’exposé, l’ordalie.
Ordalie
Rappel de la définition : le jugement de Dieu, terme judiciaire qui vient du Moyen Âge ; ordalie vient du latin ordalium, le jugement de Dieu.
Ainsi que le rappelle le livre « Histoire des institutions publiques et des faits sociaux »(15) : lorsqu’il y avait un doute, Dieu était sommé de se prononcer et de choisir ;il y avait deux manières de procéder :soit une épreuve était proposée individuellement, le sujet était soumis au feu ou à l’eau ;s’il s’en sortait disons sans mal, il était admis qu’il était dans son bon droit, soit un duel judiciaire et le vainqueur était celui que Dieu avait désigné.
Plus près de nous, FREUD(9), dans l’appendice au cas Schreber, rappelle l’existence de telles épreuves chez quelques tribus celtes, afin de déterminer les origines paternelles de certains nouveaux- nés.
En 1981, Marc VALLEUR et Aimé CHARLES- NICOLAS (3), travaillant dans le service de Claude OLIVENSTEIN avec des drogués, remettent au goût du jour l’ordalie dans les conduites de certaines personnes et en particulier dans certains flirts avec la mort qu’ils observent chez des joueurs pathologiques, dans certaines conduites suicidaires. Ils reconnaissent un versant positif à ces conduites, puisque le sujet recherche une sorte de résurrection après ce flirt un peu poussé avec la mort.
Il s’agit de jouer sa vie, ainsi que le reconnaissent les auteurs, au delà de l’argent, le joueur pathologique joue sa mort ; on est donc proches avec cette dualité vie / mort.
L’adolescent qui est soumis aux tempêtes pulsionnelles en est souvent réduit à agir, et c’est assez fréquemment dans des conduites à risque, souvent ordaliques, qu’on le retrouve.
A quoi peuvent donc servir ces conduites ordaliques ? Divers questionnements peuvent être évoqués.
Tout d’abord, j’aborderai l’aspect de la résurrection, où, jouer sa vie, conduit à faire une sorte de « contraction », à la fois jouer l’emprise, et s’auto -engendrer dans une répétition de la naissance. Il y a donc une transformation de l’inorganique vers le vivant et retour. On débouche sur la pulsion de mort – de vie de S.FANTI.
La quête des limites et la recherche des sensations sont du domaine de la psychobiologie, et une théorie telle que celle proposée par la micropsychanalyse permet de le concevoir.
L’ordalie est un fait intime, et peut-être intra –psychique, mais en même temps social, car il s’agit de s’adresser à l’Autre, Sous les coups de boutoir du pulsionnel, les objets parentaux deviennent idéalisés et finissent à se transformer en dieux, à qui l’adolescent ordalique s’adresse pour donner un sens à sa vie.
Sur un plan collatéral, il s’agit de flirter avec la mort pour l’appréhender, la sentir, en sentir le souffle.
Par ailleurs, ainsi que le démontre CHARLES-NICOLAS (1), il s’agit de contenir l’éclatement psychotique, ainsi que par ailleurs on peut le voir dans les transformations physiques de certains sportifs, où les dysmorphophobies se rencontrent.
Pour David LEBRETON (11), la disparition des rites initiatiques collectifs, comme le passage de l’état d’adolescent à l’âge adulte, serait à l’origine d’initiatives privées, ordaliques, ayant une fonction initiatique.Cela est confirmé par Maryse ESTERLE- HEDIBEL (6), dans ses travaux sur les jeunes et le risque routier.
Dans ce questionnement, on aboutit également à la notion d’essai, dont parle Silvio FANTI (8), essai ordalique, qui deviendrait, dès lors, organisateur.
Alors, que se passe-t-il donc pour l’adolescent qui dans son questionnement s’approche de la mort, sinon peut être, pour tenter lui même d’apporter un élément de réponse.
Si l’on revient à la théorie de la mère pénienne, dont parle Pierre CODONI la mort du sujet, c’est la mort dans la séparation, c’est la mort dans la castration, dans l’éloignement ou l’abandon.
C’est ainsi que l’on peut concevoir cette idée de la représentation de la mort.
Conclusion
L’ordalie, avec le jugement de Dieu, se rapproche de ces grandes fresques sur les murs des temples égyptiens où il y a le jugement des morts.
L’adolescent qui doit renoncer à l’enfance, aux objets de son enfance, qui doit renoncer à son corps nubile pour endosser une autre enveloppe musculaire, l’adolescent est symboliquement en prise avec la mort.
L’éternelle question de la mort hante tout être humain, l’adolescent n’y échappe pas ; il tente dans des conduites répétitives d’en appréhender le sens et d’aller se frotter jusqu’à ses limites.
C’est peut être un des sens que l’on peut donner aux conduites ordaliques à l’adolescence.
L’adolescence aux prises avec toutes les transformations psychobiologiques est envisagée souvent sous l’angle du pubertaire et de la capacitation sexuelle.
L’angle de la capacitation agressive peut être abordée autrement que sous le seul aspect de la violence qui est à nos yeux réductionniste, mais aussi sur un versant de jeu-réponse avec la mort.
L’adolescent, dans sa quête de sens, n’échappe à la règle, lui qui se colle déjà aux réalités en allant si près, qu’il sent quelquefois le souffle de la mort, et peut, par ailleurs, quelquefois pour toujours, en porter physiquement et psychiquement la trace.
Je vous remercie.
Références bibliographiques
(1)CHARLES –NICOLAS A., A propos des conduites ordaliques : une stratégie contre la psychose ?, Topique, 35-36, 1985, p207-229
(2)CHARLES-NICOLAS A., Addiction :passion et ordalie, in le psychanalyste à l’écoute du toxicomane, Dunod, Paris, 1981
(3)CHARLES-NICOLAS A., VALLEUR M., les conduites ordaliques, in OLIEVENSTEIN C., la vie du toxicomane, P.U.F., Paris, 1982
(4)CODONI P., « l’interprétation du rêve « , in le sommeil- rêve, micropsychanalyse 2, revue de la société internationale de micropsychanalyse, Favre, Lausanne, 1997, p35-47
(5)CODONI P., « l’agressivité, des pulsions au même titre que les pulsions sexuelles ontogénétiques d’origine phylogénétique », in micropsychanalyse 2, l’inconscient, l’agressivité, revue de la société internationale de micropsychanalyse, Favre, Lausanne, 1997, p67-93
(6)ESTERLE 6HEDIBEL M., « les jeunes et le risque routier » revue Greco n°9
(7)FANTI S., L’homme en micropsychanalyse, Denoël, Paris, 1981
(8)FANTI S., en collaboration avec CODONI P. LYSEK D., Dictionnaire pratique de la psychanalyse et de la micropsychanalyse, Buchet/Chastel, Paris, 1983
(9)FREUD S., « le président Schreber » in Cinq psychanalyses, P.U.F. Paris, 1979
(10)GUTTON Ph., « le pubertaire, ses sources, son devenir », in Adolescence et psychanalyse : une histoire, sous la direction de PERRET -CATIPOVIC M. et LADAME F., Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1997, p 193-212
(11)LE BRETON D., Passions du risque, Metailié, Paris, 2000, 190p
(12) LYSEK D., « la notion d’inconscient chez Freud et en micropsychanalyse », in micropsychanalyse 2, l’inconscient, l’agressivité, revue de la société internationale de micropsychanalyse, Favre, 1997, p 9-65
(13)NABATI M., JEANPARIS F., « Ordalie, mythes et clinique « , texte présenté lors de la réunion de la Société de Psychiatrie de Franche-Comté, Dole, mai 2001
(14) PELUFFO N., « le rôle de l’Image phylo –ontogénétique dans le rapport transfert – contre- transfert », actes du symposium de la société internationale de micropsychanalyse, Zurich, 26-27-28 Mai 1989, Borla, Roma
(15)TIMBAL P-C., CASTALDO A. « Histoire des institutions publiques et des faits sociaux », 9e édition, Dalloz, Paris, 1998
(16)VALLEUR M., « Pour interpréter l’agi » Perspectives Psychiatriques, 26e année n°10/V(nouvelle série), 1987, p300-304
* psychothérapie d’inspiration micropsychanalytique