Relation entre rêves et psychopathologie au point de vue micropsychanalytique
Par Daniel LysekCe texte est la traduction française d’une communication présentée en italien au Congrès interdisciplinaire Sogno & psicopatologia, Capo d’Orlando, 17-18 novembre 2000. Il a été publié en italien dans le Bolletino dell’Istituto italiano di microspsicoanalisi, 29-30, 2001.
J’aimerais commencer par remercier les organisateurs de ce congrès en les félicitant d’avoir choisi comme thème Rêve et psychopathologie. En effet, ce sujet nous place d’emblée dans la perspective de l’inconscient, il nous oblige à mettre notre relation à l’inconscient en position centrale. Vous le savez, il existe dans la psychiatrie et la psychologie contemporaines des mouvements qui pourrai che spingono a moins prendre en considération les effets de l’inconscient dans la clinique. Ce serait un terrible retour en arrière car ces effets sont désormais démontrés par 100 ans de recherches psychanalytiques.
Nous aurons largement l’occasion de nous en rendre compte au cours de ces deux jours, car les rapports entre rêve et psychopathologie sont une merveilleuse illustration de la place qu’il faut réserver à l’inconscient dans la compréhension de l’humain.
Quand j’ai commencé à préparer mon intervention, je pensais d’abord la centrer sur les rapports spécifiques entre certains rêves et différentes entités cliniques. Par exemple, les rêves de l’obsessionnel, du déprimé ou du paranoïaque. Mais on m’a fait l’honneur d’être le premier micropsychanalyste à parler et il m’a semblé que mon rôle était plutôt de poser un cadre général. Aller dans les particularités risquait effectivement de nous faire passer à côté de l’essentiel. Cela n’aurait pas assez mis en évidence la similitude fondamentale qui existe entre production onirique et formation de symptômes. L’un et l’autre sont engendrés par l’inconscient et ils s’élaborent au moyen des mêmes mécanismes psychiques tout au long d’un chemin qui va de la profondeur à la superficie.
Cette similitude fondamentale sera l’argument essentiel de mon intervention, même si je mentionnerai aussi ce qui différencie la production onirique de la formation de symptômes. J’essaierai de faire voir au passage l’intérêt pratique de ces notions. En effet, le travail du clinicien gagne en efficacité s’il ne se borne pas à coller des étiquettes, mais s’il cherche à remonter la genèse des symptômes, à comprendre comment ils se forment et à les expliquer par rapport à cette mémoire archaïque qu’est l’inconscient. On peut comprendre beaucoup de choses en étudiant les rapports du sujet avec son environnement et son passé récent, mais il manquera alors une dimension essentielle de son être : la partie la plus ancienne de son histoire, les vécus refoulés avant sa sixième année. Or, ces expériences achaïques et ce passé lointain sont le premier organisateur des rêves et des fantasmes. A leur tour, les rêves et les fantasmes organisent les troubles psychiques. C’est pourquoi l’étude des symptômes débouche dans les rêves et dans les fantasmes. Inversément, l’étude des rêves et des fantasmes aide à découvrir le sens des symptômes.
Je commencerai par rappeler quelques notions de base qui sont indispensables à la compréhension du rapport entre rêve et psychopathologie. Ce sont des éléments connus de certains d’entre vous, en particulier de ceux qui ont participé aux journées micropsychanalytiques de l’an dernier. Qu’ils veuillent bien excuser ces redites.
Partons d’un point de vue historique. Freud a découvert l’inconscient et son mode de fonctionnement en cherchant à comprendre et à traiter les névroses : cette démarche a été couronnée de succès grâce à une méthode, la technique des associations libres. C’est en fait la meilleure voie d’accès à l’inconscient, la seule qui permette de dévoiler ce que contient l’inconscient d’une personne en particulier. En libérant le discours de ses patients des contraintes habituelles et en laissant leurs idées et leurs émotions s’enchaîner selon leur dynamique propre, il découvre que les symptômes névrotiques expriment des représentations et des fantasmes enfermés dans un système psychique archaïque, l’inconscient précisément. Il a alors l’intuition que le rêve peut être décodé comme un symptôme. Il étudie donc les rêves et il comprend qu’il n’a pas simplement trouvé l’étiologie des névroses. L’inconscient est bien un constituant essentiel et universel du psychisme humain. Et c’est l’étude du rêve qui lui dévoile les mécanismes par lesquels se forment les symptômes. Donc, la psychopathologie le conduit aux rêves, qui lui expliquent comment se forment les névroses. On voit bien là qu’il est tout à fait légitime de rapprocher rêve et psychopathologie, comme le thème de ce congrès nous y invite.
Freud élabore ainsi la première théorie complète du psychisme en fonction de l’histoire personnelle et familiale du sujet. Cette conception globale du psychisme repose sur l’inconscient conçu comme la mémoire des événements clefs datant de la période évolutive, c’est-à-dire d’avant la sixième année. Ce qui est mémorisé, ce sont les circonstances d’expériences de satisfaction ou de frustration, des personnages gratifiants ou effrayants, des situations plaisantes ou déplaisantes. Tous ces éléments forment des représentations inconscientes, qui peuvent être plus ou moins chargées d’affect, et qui s’organisent en fantasmes inconscients.
Ensemble, représentations et fantasmes inconscients constituent un système de référence guidant, à l’insu du sujet, ses pensées, ses sentiments et ses actes. En d’autres termes, l’inconscient est une sorte de programme informatique, dont on est coupés, mais qui nous influence en permanence. Le rêve et les formations de symptômes rétablissent une certaine continuité avec ce programme qu’on ne maîtrise pas. Ils nous disent quelque chose, ils nous envoient des informations, mais dans un langage crypté.
Freud nous a précisément appris à décrypter ces messages. Il a montré que le rêve et le symptôme réalisent de manière camouflée des désirs inconscients, abaissant ainsi la tension psychique inconsciente. Très schématiquement, on peut dire que le rêve informe les fonctions psychiques supérieures de ce qui demande, au fond de nous, à être satisfait. En plus, il montre des voies de satisfaction : le rêve nous dit comment, à travers quoi et au moyen de qui donner satisfaction aux aspirations inconscientes. Et les névroses ? Eh bien, c’est simplement une manière d’y parvenir. Elles consistent en essais de donner corps à des pensées inconscientes. Ces essais sont inadaptés au plan de la réalité extérieure, mais conformes à une exigence interne qui se retrouve d’ailleurs dans le rêve.
Voyons cela en détail. Au départ, il y a une pression de l’inconscient et du ça (on peut définir schématiquement le ça comme la dimension psychobiologique de l’inconscient, c’est le creuset à la fois énergétique et pulsionnel qui fonde notre être ). D’où provient cette pression ? Certains éléments mémorisés dans l’inconscient sont le siège d’une surtension énergétique. Au premier abord, les entités sous tension consistent surtout en vécus traumatiques, traumatiques parce qu’ils n’ont pas pu être gérés, parce qu’ils étaient conflictuels, angoissants ou culpabilisants. Mais n’importe quel vécu enclavé dans l’inconscient peut s’activer, se surcharger énergétiquement, par le jeu de la dynamique autonome de l’inconscient. Pour la micropsychanalyse, le rêve ne se limite pas à abaisser les tensions, il joue aussi un rôle dans cette activation.
Donc, les contenus inconscients activés demandent à abaisser leur tension en s’exprimant. Cela fait naître les désirs inconscients. Un désir inconscient est un dynamisme apte à décharger l’excès tensionnel d’un certain contenu inconscient, parce qu’il suit un schéma de satisfaction mémorisé. Le désir inconscient va donner corps aux représentations inconscientes afin qu’un objet externe puisse servir de voie de décharge. Mais la réalisation brute des désirs est doublement impossible. D’abord parce que les représentations et les fantasmes sont dans un autre monde, qui est régi par d’autres lois : c’est ce qu’on appelle le processus primaire. Ensuite, parce parce qu’ils sont inacceptables pour le moi et le mettraient en danger s’ils y faisaient irruption tels quels.
Il se produit donc un travail de déformation qui camoufle les représentations, les fantasmes et les désirs. Voici quelques uns de ces mécanismes de déformation : le déplacement, la condensation, la projection, l’identification, la représentation manifeste par le contraire, le renversement de la succession temporelle ou spatiale, la symbolisation, la dramatisation, la prise en consideration de la figurabilité et de l’intelligibilité. Ces mécanismes de déformation agissent déjà au niveau inconscient, puis à l’interface entre l’inconscient et les systèmes psychiques plus évolués, c’est-à-dire le préconscient et le conscient. Ce sont eux qui donnent aux rêves et aux symptômes leur forme apparente.
J’en reviens maintenant au rapport entre rêve et psychopathologie. D’une part, on trouve le même type de contenus inconscients à l’arrière-plan des rêves et des symptômes. Ce sera par exemple un désir incestueux lié au complexe d’Œdipe, une peur provenant du complexe de castration, une dynamique de rétention héritée du stade anal, une poussée cannibalique de type oral, la reproduction d’un sentiment océanique de stade initiatique. D’autre part, tout le travail de fond est identique pour les productions oniriques et les formations de symptômes. D’ailleurs, ceux d’entre vous qui ont une activité clinique sont confrontés tous les jours aux mécanismes que je viens d’énumérer. Par exemple, la projection vers l’extérieur de l’image d’une mère étouffante et son déplacement sur certains espaces fermés donne lieu à une claustrophobie. Le déplacement vers le haut d’une excitation génitale et le renversement du plaisir en son contraire explique un mal de tête hystérique.
Mais où se situent donc les différences entre production onirique et formation de symptôme? La première différence est patente : le rêve a lieu pendant le sommeil, dans un moment de paralysie motrice, et il se déroule sous forme d’images mentales, alors que le symptôme implique la vie éveillée, le corps et les actions du sujet. Cela tient à leur fonction spécifique, j’y reviendrai. Une autre différence tient à leur source respective. Les rêves sont plastiques. Par de multiples touches bigarrées comme l’ont fait les peintres impressionnistes, ils mettent toute notre vie en scène, tous les stades de notre développement, tout ce que nous avons vécu avec nos parents, les particularités de tous les êtres qui nous ont été familiers, de nos ancêtres les plus reculés. Ils prennent source dans n’importe quel ensemble de représentations et affects et ils se forment en utilisant tous les mécanismes inconscients possibles, de manière souple, d’une façon créative, pourrait-on dire.
De leur côté, les symptômes sont rigides et répétitifs. C’est qu’ils expriment des vécus traumatiques, des fixations inconscientes, qui sont des points de stase énergétique permanente. De manière plus spécifique, les symptômes traduisent un conflit psychique. Ils sont la voie de décharge forcée d’un désir inconscient inconciliable avec les autres systèmes ou d’une opposition irréductible entre désirs et défenses. Ils prennent donc leur source dans tel événement de tel stade, qui a réactivé tel autre vécu analogue, etc. Pour la même raison, les symptômes impliquent souvent moins de mécanismes de déformation. Mais ils les impliquent lourdement, dans une perspective beaucoup plus défensive que les rêves. Ils expriment un psychisme en alerte, qui doit gérer une irruption de l’inconscient dans le préconscient. En conséquence, le préconscient se raidit et utilise des solutions stéréotypées de sauvetage.
En termes énergétiques, cette différence est certainement une question de seuil de tension. Trop de tension ne peut se vider à travers un processus physiologique et nécessite la mise en place d’une dynamique pathologique. Le symptôme survient quand le rêve ne suffit plus à métaboliser les tensions inconscientes. Les fixations traumatiques sont tellement chargées que tout se passe comme si l’urgence à vider leur trop-plein tensionnel déviait à son service le fonctionnement psychique diurne et imposait au moi la création d’une voie de décharge névrotique. Le symptôme serait alors comme une fistule qui déverse le pus d’un abcès à l’extérieur du corps. En somme, le rêve est une expression physiologique et donc souple de la vie inconsciente, alors que la psychopathologie tente de désamorcer des fixations explosives en utilisant répétitivement une procédure d’urgence qui a fonctionné une fois, mais qui peut ensuite faire mieux que d’éliminer un trop-plein, sans tarir la source.
Comme la formation de symptôme envahit la vie éveillée, et implique donc des mises en actes, elle est traitée différemment au niveau du préconscient. Le symptôme n’exprime pas uniquement l’inconscient, il dépend aussi surtout de souvenirs, de pensées et de sentiments préconscients (donc ressortant du processus secondaire). Ce sont des éléments qui sont à la fois en rapport avec la réalité extérieure et en résonance avec des vécus inconscients traumatiques. En conséquence, ils sont remaniés fantasmatiquement. Ils vont ainsi s’amplifier, devenir moins conformes à la réalité et prendre une coloration angoissante.
Si on n’a aucune influence sur le travail du rêve en tant que tel, on peut influencer la formation des symptômes. Heureusement pour les professionnels à qui on demande quand même quelques résultats thérapeutiques ! Plus sérieusement, c’est parce que le symptôme est traité différemment au niveau préconscient qu’on peut avoir un impact sur lui. Preuve en est l’effet de la parole sur la symptomatologie. Le langage verbal est une fonction spécifique du préconscient et la dynamique associative établit des liens entre des objets préconscients. Ceux qui sont en résonance traumatique se connectent avec d’autres, qui prennent leur tension en charge et l’évacuent de manière plus adéquate. On pourrait comparer une entité préconsciente en résonance avec un vécu traumatique à un organe enflammé. La dynamique associative le désenflamme en tissant des liens avec des organes sains. Mais là aussi, on retrouve une relation au rêve. En travaillant les rêves, on peut aborder les symptômes très indirectement, en les noyant dans une vaste trame de vécus. Si on les aborde directement, on risque de hérisser les défenses et donc de renforcer la symptomatologie, alors que cette approche indirecte par le rêve la relativise.
Tout ce que j’ai dit jusqu’à maintenant est relativement classique, cela fait partie du fonds commun freudien que la micropsychanalyse a repris à son compte. Mais la pratique micropsychanalytique conduit aussi à voir certaines choses de manière tout à fait originale. Pour aborder cet aspect de la relation entre le rêve et la psychopathologie, commençons par rappeler le dispositif technique qui le fait ressortir.
La micropsychanalyse est une méthode d’analyse du psychisme inconscient que Fanti a mise au point à partir de la psychanalyse freudienne. Elle se différencie de la pratique classique sur plusieurs points, une micropsychanalyse se fait en particulier en séances de plusieurs heures et utilise des appoints techniques, comme l’étude en séance des photographies de l’analysé, de son arbre généalogique ou des lieux où il a vécu. On le comprend d’emblée, cette technique potentialise la substance même de l’analyse, la méthode associative, puisqu’elle permet des enchaînements de pensées en longues cascades qui se ramifient dans de nombreuses directions. Cela permet à l’analysé de plonger très profondément dans son histoire et de revivre en détails son passé. En longues séances, l’analysé va non seulement retrouver les traces de ce qu’il a vécu pendant sa petite enfance, mais aussi voir se raviver des expériences intra-utérines et des éléments hérités de ses ancêtres.
Ainsi, la personne en analyse renoue peu à peu les fils perdus de sa vie, en reconstruit les pans abattus par le refoulement et découvre un sens à son histoire et à celle de ses ancêtres. De manière générale, les longues séances stimulent fortement la reviviscence des personnages, des épisodes et des sentiments de la période évolutive. A tel point que les représentations et affects refoulés remontent spontanément à la surface et donnent un sens aux images de ses rêves et aux caractéristiques de ses symptômes. En d’autres termes, les associations en longues séances finissent par mettre en relation la vie actuelle de l’analysé avec son passé, avec ses rêves et ses fantasmes. Plus précisément, on vérifie la séquence causale suivante : l’analyse des symptômes conduit à des fantasmes et à des rêves, qui conduisent eux-mêmes à mécanismes de déformation ou de défense, dont l’analyse amène à des désirs agressifs et sexuels inconscients, que l’on peut rapporter à des vécus refoulés, infantiles, intra-utérins ou phylogénétiques.
En somme, la liberté d’expression de la séance permet de reproduire, en direct et de manière visible, les mécanismes qui construisent obscurément les rêves, les fantasmes et les symptômes. Ce travail ne sert pas seulement à les comprendre, cela sert surtout à créer des issues pour la tension psychique, cela perméabilise des voies de décharge énergétique. Tout se passe comme si les représentations, les affects et les fantasmes qui sous-tendent les symptômes profitaient des associations libres pour retrouver un peu de cette liberté énergétique qui produit les rêves et pour explorer ainsi de nouveaux circuits de décharge, différents de ceux qui conduisent à une pathologie.
La présentation que je viens de faire est bien sûr schématique. La réalité est beaucoup plus complexe, il existe des interdépendances multiples, dont je vous propose de retenir ceci : il semble bien que le rêve soit aux commandes d’un système cybernétique qui puise dans la mémoire inconsciente pour organiser les productions humaines les plus diverses, dont les formations de symptômes.
Ainsi, par exemple, il n’est pas rare d’observer à l’avance, dans la vie onirique du sujet, les signes avant-coureurs d’une pathologie à venir. Et ceci alors que le contexte de la réalité extérieure ne présente pas encore les conditions qui déclencheront les symptômes !
Voyons maintenant quel est l’éclairage original que les longues séances donnent à ces éléments. En cela la micropsychanalyse ne révèle rien de bien original, l’essentiel en est connu depuis Freud. Mais les longues séances font aussi venir en surface des éléments originaux. J’aimerais les détailler un peu.
Il apparaît en premier lieu que le rêve et la formation de symptômes n’expriment pas seulement des représentations et des désirs inconscients. Ils donnent corps à des vécus de la période évolutive et ils les mettent en scène. Ces vécus sont mémorisés dans l’inconscient sous forme d’ensembles de représentations et d’affects, ils sont la trace laissée par des expériences utéro-infantiles particulièrement importantes : ils mémorisent la dynamique agressive et sexuelle qui a été éprouvée, les buts pulsionnels qui ont été atteints ou pas, les objets satisfaisants ou non, les circonstances, l’atmosphère, etc.
Au plan pratique, il très important de mettre en évidence ces vécus. Sans eux l’interprétation d’un rêve ou d’un symptôme ne peut pas être complète. Surtout, les interprétations focalisées sur les désirs et les défenses restent souvent mal intégrées par l’analysé ou le client en thérapie si les désirs et défenses inconscients ne sont pas fondus dans le contexte de ce qui a été vécu avec la subjectivité immature de l’être en développement. C’est particulièrement vrai pour l’explicitation des symptômes. Ils cèdent plus facilement lorsqu’on reconstruit progressivement les vécus que la symptomatologie rejoue dramatiquement sur la scène de la réalité. Cela permet parfois d’éviter d’entendre la fameuse boutade : je souffre toujours de ça, mais je sais pourquoi !
Vous avez peut-être noté que je parle de vécus agressifs et intra-utérins. Ce sont là deux autres éléments que le travail micropsychanalytique fait venir en surface. Contrairement à ce que Freud pensait, le refoulé n’est pas uniquement sexuel et infantile, mais aussi agressif et il peut être bien antérieur à la naissance.
Considérons l’agressivité d’abord. Il existe au niveau de l’inconscient des représentations précises de destruction, de démantèlement, d’élimination, de meurtre, d’éclatement, d’anihilation… Et ceci parce que la période évolutive est autant marquée par des pulsions agressives que par les fameuses pulsions sexuelles partielles. Ainsi l’analyse des rêves ou des symptômes conduit-elle aussi à des vécus et à des désirs agressifs. Pour ce qui est du rêve, cela ne se limite pas aux cauchemars ou aux rêves violents. L’agressivité est souvent bien camouflée. Par exemple, elle sera simplement signalée par un paysage désolé, par une maison vide ou par la présence d’un personnage au destin tragique. Dans certaines pathologies, l’agressivité inconsciente est souvent un déterminant plus important que la sexualité. Je citerai en exemple les crises de panique, les répétitions d’échec, les syndromes d’inhibition. Mais c’est particulièrement vrai pour la névrose obsessionnelle et pour la maniaco-dépressive. Dans le travail avec certains obsessionnels, l’analyse des rêves est indispensable à la mise en évidence de la dynamique agressive inconsciente car le tableau clinique est dominé par les formations réactionnelles : politesse, amabilité, respect, servilité, etc. Mais si on s’intéresse aux rêves, ils conduisent tout droit à l’agressivité. La scène onirique montre les effets dévastateurs des désirs agressifs qui s’y réalisent !
J’en viens maintenant à la vie intra-utérine : il apparaît avec les longues séances que le fœtus est capable de percevoir et de ressentir, qu’il sent en lui des poussées agressives et sexuelles ; il les interprète en fonction du stock de représentations dont il a hérité. Il peut leur donner satisfaction fantasmatiquement ou s’en défend si nécessaire. Il intériorise ainsi des expériences rudimentaires et mémorise des vécus psychobiologiques. Il commence donc de structurer un moi. Tout cela constitue un premier stade du développement psychosexuel, que Fanti a appelé stade initiatique.
Dans la plupart des cas, il faut une étude très poussée des rêves pour que surgissent des vécus initiatiques indubitables et il n’est pas indispensable de faire appel à eux pour comprendre les symptômes d’une névrose. Il en va probablement autrement des psychoses, en particulier schizophréniques, mais je n’en ai pas une expérience suffisante pour en dire plus.
J’aimerais au contraire parler de la relation au vide et des conflits qu’elle suscite. C’est là un des apports majeurs de la micropsychanalyse à la métapsychologie. En effet, les micropsychanalystes parlent d’organisation énergétique du vide. Pourquoi fait-on entrer le vide dans la métapsychologie ? Schématiquement dit, l’expérience nous montre que l’être humain se structure à partir de coupures fondamentales, de séparations, de pertes, de manques… En voici quelques exemples. Au plan œdipien, il y a le tabou de l’inceste qui nous sépare de notre origine, il y a le complexe de castration qui nous fait vivre avec le spectre du manque. Au stade anal, il y a la perte des selles qui nous confronte à l’impossibilité de garder. Au stade oral, il y a le sevrage et la perte définitive de la fusion avec la mère. Et avant, il y a la naissance cette nécessaire mais douloureuse coupure.
Tous cela est vécu de manière très diverse, par exemple comme un isolement de l’être, comme l’impossibilité de trouver des objets aux pulsions et désirs, comme une faille existentielle, une perte mortifère… Mais au delà de ses aspects extrêmement divers, la relation conflictuelle au vide est un dénominateur commun de tous les tableaux cliniques. Pensons par exemple à la maniaco-dépressive. Le vide y est visiblement à vif dans la phase dépressive, mais il l’est autant dans la phase maniaque, simplement il est nié, le sujet étant emporté par l’illusion de relations tout azimuts.
Voyons maintenant comment nous théorisons cela. Si l’on va à la limite de ce que l’on peut analyser, les représentations et les affects semblent se réduire à de simples paquets d’énergie indifférenciée parsemant un vide infini. Comme les particules de matière qui composent notre corps et l’univers, les représentations et les affects ressemblent à d’infimes agrégats de tension ponctuant le vide qui est, lui, sans tension. Au delà de l’Œdipe et des déterminants encore plus archaïques, les conflits psychiques se ramèneraient en définitive à une opposition fondamentale entre énergie et vide. Il semble y avoir une incompatibilité irréductible entre les entités et le vide qui existe autour. Cette incompatibilité foncière entre le plein et le vide constitue, nous semble-t-il, la source de la dynamique psychique. C’est elle qui donnerait lieu aux pulsions de vie et de mort. On sait que le but général des pulsions est d’abaisser les tensions psychobiologiques. Pour la micropsychanalyse, ce but se définit comme une tendance à retourner au vide (c’est la pulsion de mort) ou comme une tendance à y échapper (c’est la pulsion de vie).
Avant de conclure, il me paraît nécessaire de revenir sur le modèle du fonctionnement psychique qu’utilise la micropsychanalyse, que Fanti a appelé organisation énergétique du vide. Mais maintenant il va s’agir de son aspect organisation et énergie. On verra en quoi cela aide à mieux comprendre le contenu des rêves et des symptômes.
Freud a montré que la pensée, l’affectivité et les conduites humaines s’originent de l’inconscient, exprimant ses fantasmes, ses désirs et ses défenses. Les psychanalystes se sont donc focalisés sur l’intrapsychique, sur la dimension endogène des conflits. L’expérience micropsychanalytique montre qu’il faut ajouter à ce déterminant une interaction constante entre le psychisme, le corps et l’environnement. On a vu que l’inconscient est le pivot de ces interactions par les vécus clefs qu’il mémorise et qui forment les références de la pulsionnalité, de l’affectivité et de la pensée du sujet.
La micropsychanalyse conserve donc les topiques freudiennes. Mais elle les insère dans un modèle plus vaste, psychobiologique et énergétique, appelé précisément organisation énergétique du vide. Voici pourquoi.
Fanti part du constat que le psychisme est à la fois un phénomène particulier au sein du vivant et un composant du biologique. A partir de là, il postule que le psychique partage ses éléments constitutifs avec le biologique et que ce dénominateur commun est énergétique. Dans ce modèle, les représentations et les affects sont indissociables de leur substrat cellulaire. Considérées comme des structurations spécifiques de l’énergie psychobiologique qui mémorisent des informations provenant des dynamismes pulsionnels agressifs et sexuels qui ont marqué l’histoire du sujet. Les représentations et les affects inconscients sont des unités de stockage de l’information, mais aussi les véhicules des échanges d’information avec l’extérieur.
Ainsi conçu, le psychisme fonctionne de manière cybernétique : l’inconscient reçoit des informations de son environnement, les compare à ses contenus, les élabore selon le processus primaire et les transmet aux autres systèmes. Les vécus refoulés, les désirs inconscients, les défenses et les fantasmes forment un système de références incontournable. Mais ce référentiel est en interaction constante avec la mémoire biologique et les stimuli externes pour guider la pensée, l’affectivité et la motricité du sujet.
Le modèle micropsychanalytique modélise donc l’inconscient comme un ensemble d’entités psychobiologiques, c’est-à-dire à la fois psychiques et biologiques.
Ces entités se structurent par niveaux d’organisation : les représentations en sont les microstructures fondamentales.
Ces unités de mémoire et de communication s’agencent selon le processus primaire et s’assemblent jusqu’à former des complexes comme le complexe d’Œdipe ou celui de castration.
On peut aussi considérer que ce modèle différencie les phénomènes psychiques selon des niveaux d’interaction. L’inconscient est le niveau fondamental, qui interagit avec le ça. Le préconscient est un niveau supérieur. Il intègre des informations venant de l’inconscient avec les données de la mémoire des apprentissages et avec des informations corporelles transmises par les systèmes hormonal, immunitaire ou sensoriel. Il compare tout cela avec les perceptions venant du monde ambiant. Mais le préconscient n’est pas un bloc homogène, ses couches profondes sont encore imprégnées du processus primaire de l’inconscient et ses contenus résonnent des tensions au niveau du refoulé. On peut comparer les profondeurs du préconscient aux eaux d’un delta, déjà salées, mais encore boueuses des alluvions du fleuve.
Vous vous souvenez que j’ai parlé de système cybernétique. C’est à cela que je faisais allusion. Le travail du rêve part du ça, traverse les couches de l’inconscient, se poursuit dans le préconscient et y dépose des entités porteuses d’informations oniriques, que nous appelons restes nocturnes. Le travail du rêve prête aussi au préconscient ses mécanismes : la mise en scène des vécus et la réalisation camouflée des désirs. C’est ainsi que se forment les fantasmes, qui vont à leur tour nourrir les motivations conscientes du sujet et sa relation au monde.
Ainsi, l’être humain rêve sa vie avant de la vivre. Pour exister, il doit trouver dans le monde environnant des correspondances aux vécus que son inconscient mémorise et pouvoir donner forme aux désirs qui en émergent. Il se forme donc, à l’interface entre inconscient et préconscient, des restes nocturnes qui dépendent à la fois du rêve, des expériences de toute notre existence et de ce que l’on vit au quotidien. L’activité fantasmatique du préconscient se nourrit des rêves à travers les restes nocturnes, tout en pouvant aussi être remaniée par le vécu actuel.
A l’arrière-plan des sentiments, pensées et conduites humaines semble donc se trouver un système cybernétique d’interactions entre rêve et environnement, entre inconscient et préconscient, entre désirs-défenses et perception-cognition. Le fonctionnement de ce système d’interactions n’est pas totalement compris, mais il joue très probablement un rôle significatif dans les productions névrotiques.
En conclusion, l’être humain compare ses rêves avec son environnement et avec les objets avec lesquels il est en relation. Lorsque les aléas de l’existence ne concordent pas avec les exigences de son inconscient, l’homme forme des symptômes qui sont une manière de rerêver sa vie.
© Daniel Lysek