Quelques jalons pour spécifier la micropsychanalyse
par rapport à ses bases freudiennesJ’ai écrit ce texte pour introduire un symposium de la Société internationale de micropsychanalyse qui s’est tenu à Zurich en mai 1989 et qui avait pour thème Les apports de la micropsychanalyse dans le prolongement de la psychanalyse freudienne. Les actes de ce symposium ont été publiés l’année suivante sous le titre De la psychanalyse à la micropsychanalyse, en édition bilingue français italien (Rome, Borla, 1990).
Aujourd’hui, j’ajouterais certains éléments à ce texte. Par exemple je parlerais de ce que Daniela Gariglio et moi-même avons apporté à la compréhension de la créativité, ainsi que de l’apport original des longues séances à l’explication des somatisations. Ceci dit, je ne renie rien de ce que j’ai écrit alors.
Quelques jalons pour spécifier la micropsychanalyse par rapport à ses bases freudiennes
par Daniel Lysek
La micropsychanalyse est une forme de psychanalyse freudienne qui se différencie des autres mouvements psychanalytiques en cherchant à atteindre des niveaux élémentaires que nous considérons, métaphoriquement, comme microscopiques. Et pourtant, à y regarder de plus près, nous avons une identité beaucoup plus subtile et complexe. En l’analysant, on découvre l’hétérogénéité qui compose fondamentalement toute identité et qui tient à l’assimilation d’éléments divers soumis à un travail d’élaboration, alors que d’autres sont l’objet d’un travail parallèle de rejet.
Les principes fondamentaux de la psychanalyse que nous conservons et qui forment notre essence freudienne sont donc en fait des composants réélaborés. Ils ont ainsi une coloration originale, qui tient d’ailleurs également à l’intégration de notions provenant d’auteurs ayant pris certaines distances par rapport à Freud (par exemple Groddeck, Melanie Klein ou Jung) et de chercheurs d’autres disciplines. Aussi deviennent-ils également des constituants spécifiques de l’identité micropsychanalytique, qui demandent à être redéfinis comme tels. C’est dans cet esprit que je voudrais mettre en évidence quelques lignes de force de la micropsychanalyse, en les situant face à leur origine freudienne.
La micropsychanalyse se pose comme science du psychisme, s’inscrivant en cela dans le prolongement direct de Freud et tout particulièrement de sa méthodologie. Si ce dernier a pu revendiquer à juste titre une reconnaissance scientifique, c’est qu’il a découvert et développé une technique d’investigation rigoureuse, standardisée et reproductible : la méthode associative appliquée dans le contexte de la règle fondamentale. Cette situation expérimentale a permis l’émergence de faits d’observation vérifiables qui ont pu être rassemblés en une métapsychologie susceptible de les expliciter. En d’autres termes, c’est la mise en application de la méthode de libre association qui a permis de fonder, à partir de l’intuition d’un inconscient dynamique, une véritable science du psychisme. La psychanalyse s’est donc construite selon la démarche qui prévaut en science, où les connaissances s’élargissent ou se bouleversent grâce à l’apport d’un nouvel instrument technique conjugué à une capacité particulière de représentation des phénomènes à observer, puis dévoilés par cette instrumentation.
A partir d’une pratique freudienne et avec les acquis de la psychanalyse, Fanti a eu l’intuition qu’il fallait remanier la technique classique de manière à pousser plus avant l’investigation psychique. Et il a introduit les longues séances quotidiennes et les appoints techniques. Cet ensemble technique potentialise la dynamique des associations libres et confère à la méthode associative une nouvelle dimension, ce qui fait surgir à son tour des faits d’observation indiscutables (certains déjà décrits, d’autres inédits) et demandant à être rassemblés en une théorie cohérente.
La micropsychanalyse investigue tout à fait scientifiquement le psychisme puisqu’elle valorise précisément l’instrument scientifique de l’analyse : la méthode associative basée sur la règle fondamentale.
Mais envisageons de manière plus détaillée comment la micropsychanalyse potentialise la dynamique associative, ce qui me semble constituer un deuxième point la spécifiant. On le sait, notre technique confronte l’analysé à la règle fondamentale plusieurs heures d’affilée jour après jour, elle insère dans la séance l’étude d’appoints techniques et elle laisse les répétitions transférentielles affleurer jusque dans les rapports sociaux de manière à pouvoir les analyser en séance. Cette méthode vise à créer des conditions optimales de verbalisation, afin qu’un maximum de répétitions inconscientes se canalisent dans la séance et se mettent en connexion associative avec les vécus refoulés qui les conditionnent.
Au point de vue associatif, les choses se passent schématiquement ainsi. Avec les longues séances quotidiennes, le matériel s’organise relativement rapidement en associations libres. Ces associations forment des séquences d’abord brèves puisque les résistances tendent à couper les fils signifiants qui les relient aux noyaux refoulés. Au fur et à mesure de l’affaiblissement de ces résistances et de la réactivation des poussées pulsionnelles du ça-inconscient, les séquences associatives se développent spontanément en de grandes lignées, ramifiées selon la surdétermination. Les lignées associatives qui se forment ainsi tendent à creuser l’un après l’autre les niveaux de structuration du psychisme inconscient, dont les contenus jaillissent successivement, des plus superficiels aux plus primaires. Sous cet angle, la fameuse comparaison archéologique de Freud pourrait être complétée par une métaphore micropsychanalytique, celle d’un forage pétrolier faisant surgir brusquement le liquide emprisonné en profondeur.
La représentation du travail d’analyse sous forme de grandes lignées associatives est bien entendu passablement simplifiée. En fait, elle ne ressort qu’après décantation des aléas qui parsèment le travail, par exemple les rationalisations et intellectualisations, les impasses défensives où le matériel s’enlise et les contingences imposées par la réalité extérieure ; enfin, elle varie dans une certaine mesure en fonction des structures spécifiques à chaque individu. Cependant, ces lignées associatives confirment expérimentalement l’organisation génétique des stades décrite par la psychanalyse et elles traduisent clairement la manière dont le vécu co-pulsionnel des stades plus récents a été conditionné par celui des stades précédents, chaque fixation agissant en organisateur psychobiologique des refoulements successifs.
Au point de vue technique, la notion de lignées associatives débouche sur un troisième aspect spécifique de la micropsychanalyse : il s’agit de la manière particulièrement physiologique dont elle fait s’exprimer le ça-inconscient. En effet, le développement de lignées associatives remontant la structuration infantile, utérine et phylogénétique de l’agressivité-sexualité constitue une façon très naturelle d’amener le refoulé à émerger et de le dénouer. Ainsi, les réactivations co-pulsionnelles tendent d’elles-mêmes à se combiner avec la remémoration et la verbalisation peut efficacement entretenir l’élaboration représentationnelle et affective des vécus inconscients que travaillent les associations. Si bien que les prises de conscience se font en grande partie spontanément, en respectant les défenses vitales de l’analysé et sont le plus souvent accompagnées d’un ressenti affectif adéquat.
Dans un tel contexte, l’analyste n’a pratiquement pas besoin de pousser l’analysé à des prises de conscience en lui interprétant progressivement le matériel qu’il exprime. En particulier, il devient généralement inutile d’interpréter les résistances et le transfert pour dégager les noyaux inconscients qui s’expriment à travers eux. Et c’est que les résistances et le transfert tendent à s’analyser d’eux-mêmes au fur et à mesure que les noyaux refoulés se manifestent associativement à l’analysé. Ainsi, le micropsychanalyste procède plutôt en rassemblant les différents contenus qui ont affleuré d’eux-mêmes et qui ont été élaborés associativement. C’est de cette manière qu’il reconstruit le vécu utéro-infantile et phylogénétique de l’analysé. Et s’il veut placer une interprétation, il le fera sur cette base, à partir de contenus déjà mis en conscience. On a là un élément important, car l’expérience montre que les interprétations portent peu de fruits si elles ne sont pas sous-tendues par des reconstructions dont l’analysé a profondément ressenti la justesse.
Très schématiquement, le révélateur du ça-inconscient en micropsychanalyse est donc moins l’analyste que le jaillissement associatif de contenus refoulés et leur élaboration spontanée par l’analysé sur le divan. Même les appoints techniques, qui pourraient être considérés comme des irruptions d’éléments de la réalité extérieure dans la séance, s’y intègrent sans détourner la dynamique des associations de son flux naturel. Effectivement, un appoint technique n’est pas introduit pour susciter telle ou telle prise de conscience ; il est utilisé comme un catalyseur qui va activer une élaboration associative déjà en cours. L’objectif visé, de manière tout à fait conforme à l’esprit analytique, est donc simplement de favoriser des revécus utéro-infantiles et phylogénétiques.
D’ailleurs, ces revécus sont souvent sans lien apparent avec le contenu du document. Et ceci parce qu’ils sont suscités par des relations associatives latentes entre le contenu du document (ou ce que l’analysé en a perçu) et la mémoire inconsciente.
J’en arrive maintenant à la spécificité et à l’identité de la micropsychanalyse : sa métapsychologie. Comme je l’ai évoqué précédemment, notre objet d’étude est constitué de structures, de forces et de relations impalpables en soi. Cependant, elles ont des effets qui, eux, peuvent être directement observés. La théorisation analytique doit donc se faire à l’aide de modèles capables d’expliquer le plus complètement possible l’origine des manifestations auxquelles on assiste.
En micropsychanalyse, le creusement associatif du matériel dégage des contenus particulièrement primaires. Et cela non seulement au point de vue génétique, avec la mise en évidence de vécus intra-utérins et phylogénétiques, mais aussi aux points de vue structurel, dynamique et économique. Or, ces éléments très primaires se laissent mal intégrer dans la structure et les lois de l’inconscient ou du ça-moi-surmoi tels que la psychanalyse les conçoit. Au contraire, ils semblent très nettement prendre leur source au delà de ces structures psychiques. C’est pourquoi les observations recueillies en longues séances ont impliqué de réviser le modèle freudien de l’appareil psychique pour l’englober dans un champ plus vaste. D’où le modèle de l’organisation énergétique du vide qui innove essentiellement sous deux aspects : il se représente le psychique et ses manifestations dans un contexte psychobiologique et il les ancre dans l’univers fondamentalement énergétique dont l’être humain est un composant. Ce modèle parvient ainsi à conceptualiser les bases dynamiques-pulsionnelles et structurelles-énergétiques de l’être dans leur relation au vide.
Je me limiterai, ici, à comparer la manière dont le modèle de l’organisation énergétique du vide aborde le domaine psychobiologique et énergétique avec les conceptions freudiennes correspondantes.
L’inconscient décrit par Freud, et même le ça, sont coupés du corps, du biologique : l’appareil psychique émane du somatique, mais uniquement par l’intermédiaire des représentants pulsionnels ; c’est dire que Freud n’envisage que des rapports de délégation entre somatique et psychique pour rendre compte des formations inconscientes et de leurs effets. Pourtant, il a d’emblée été confronté au lien intime entre psychique et somatique par l’étude de l’hystérie et il a toujours soutenu l’idée qu’on découvrirait à l’avenir un support matériel biologique aux phénomènes psychiques. Enfin, il a souvent transposé des notions physiologiques sur le plan du psychisme, par exemple quand il compare la pulsion à un arc réflexe ou quand il parle de l’économie psychique en termes de quantités d’excitations. Mais ces métaphores ne donnent aucune indication quant au lien entre les phénomènes inconscients et le corporel.
Un autre aspect peu satisfaisant de la métapsychologie classique concerne le rapport entre pulsion et énergie. La théorie freudienne des pulsions confond, en effet, force et énergie. Freud définit aussi bien les pulsions comme des ensembles de forces (par exemple quand il les décrit comme une « exigence de travail »)1 que comme des quantums d’énergie (lorsqu’il affirme que le ça est « rempli d’une énergie venant des pulsions »2 ou qu’il explicite la notion d’investissement). Or cette confusion entre force et énergie contredit les données scientifiques modernes. Pour la science actuelle, les forces ne sont que des concepts opératoires permettant de relier un effet à une cause, et elles découlent d’interactions de la matière, donc d’interactions d’organisations énergétiques. Par exemple, la force électromagnétique n’existerait pas sans son support énergétique, l’électron.
Le modèle de l’organisation énergétique du vide tente de résoudre ces difficultés freudiennes en dépassant la structure de l’inconscient pour l’intégrer dans une organisation énergétique d’une part plus générale, puisqu’elle englobe le somatique, et d’autre part plus primaire, puisqu’elle postule une énergie basale neutre et unique, le Dnv-Ide. Quant aux pulsions, ce modèle les considère toujours comme des « concepts limite entre le psychique et le somatique »3 mais il les fait, en plus, découler d’interactions énergétiques : le système pulsionnel est un ensemble de forces suscité par la structure de l’énergie et interagissant avec elle en une série de boucles cybernétiques.
Au point de vue micropsychanalytique, l’être humain se ramène, dans sa globalité, à une organisation par niveaux qu’on peut décomposer ainsi : l’inconscient et le cellulaire sont des structures spécialisées du niveau psychobiologique qui s’ancre dans le ça, défini comme charnière entre les paquets énergétiques fondamentaux et le dynamisme pulsionnel, c’est-à-dire entre les composants du niveau le plus primaire de toute l’organisation. En d’autres termes, la micropsychanalyse prend acte du fait qu’on ne peut pas établir de relation directe inconscient – cellules ou biologie cellulaire. Mais elle ne se résigne pas à explorer les productions humaines uniquement à travers la grille de décodage d’un inconscient dénué de tout support. De même, elle refuse de se limiter à appréhender le corporel sous le seul aspect symbolique. Ainsi, au lieu de tenter d’enraciner directement l’inconscient dans le cellulaire et la neurophysiologie, la micropsychanalyse conceptualise une base énergétique-pulsionnelle mettant en synergie le psychique et le biologique. Ce faisant, elle les unifie et peut se représenter le vecteur des translations de l’un à l’autre. Par exemple, elle conçoit que le psychique et le somatique conservent dans leur intimité la même organisation énergétique fondamentale et que les somatisations ou les psychisations se font par modulation co-pulsionnelle des entités énergétiques réciproques qui composent ces deux structures.
D’où la place centrale que prend le ça dans notre métapsychologie. Alors que le ça freudien est une instance psychique, le ça micropsychanalytique est l’organisateur du psychique et du somatique où se décident les lois qui régiront spécifiquement l’un et l’autre, comme les modalités d’application de ces lois. Et ceci, précisément, parce qu’il est le lieu de conjonction où l’énergie se structure psychobiologiquement sous l’effet du système pulsionnel et où cette conjonction énergétique-pulsionnelle gère les relations entre les entités psychobiologiques, psychiques et somatiques. C’est pourquoi nous parlons de ça-inconscient, avec un trait d’union. Nous ne voulons pas signifier par là que le ça est inconscient, ce qui serait une lapalissade, mais souligner que les représentations, les affects, les désirs, les défenses et les fantasmes inconscients sont interdépendants par l’énergétique et le pulsionnel qui les alimentent, et que cette interdépendance se fait également avec le biologique.
A ce point du développement, le thème du vide demande à être abordé. En effet, si le vide peut s’appréhender à tous les niveaux de l’investigation micropsychanalytique, métapsychologiquement, la micropsychanalyse lui assigne un rôle clef dans l’articulation énergétique-pulsionnelle qu’effectue le ça. Pour l’expliciter, partons de la théorie des pulsions. La métapsychologie micropsychanalytique, comme celle de Freud, considère que l’essence de toute pulsion est la tendance à abaisser une tension; tendance radicale pour la pulsion de mort, tendance homéostatique pour la pulsion de vie et les co-pulsions. Comme on l’a vu, l’apport de la micropsychanalyse réside dans la distinction claire entre le point de vue énergétique et le point de vue dynamique. Pour la micropsychanalyse, une pulsion est une force découlant d’une certaine organisation énergétique en rapport précisément avec le vide. Une pulsion n’est donc pas énergétique en soi, mais est secondaire à une relation énergie-vide et exprime la propension dynamique que cette relation fait naître.
En quoi consiste le rapport énergie-vide donnant lieu au système pulsionnel ? L’énergie est discontinue, alors que le vide apparaît continu : chaque paquet énergétique « baigne » dans un vide qui, à la fois, le sépare des autres et le relie synaptiquement aux autres. En plus de sa discontinuité, l’énergie présente par définition un état de tension, par opposition au continuum du vide dont le niveau tensionnel est nul (ou négligeable). Fondamentalement, tout se joue dans et par cette différence de nature et de tension entre l’énergie et le vide, selon un principe de base que nous avons appelé principe de constance du vide et qui postule que toute organisation énergétique se conforme aux caractéristiques du vide.
Le système pulsionnel constitue la traduction dynamique du principe de constance du vide : l’incompatibilité foncière entre les caractéristiques du vide et celles de l’énergie donne lieu à une force motrice poussant à se conformer à la continuité du vide et à son absence de tension. En décomposant cette force motrice, on obtient une double propension: la tendance à aller au vide qui définit la pulsion de mort et la tendance à échapper au vide correspondant à la pulsion de vie. Envisager une pulsion de mort à l’état pur, isolée, serait conceptuel à notre niveau psychobiologique. En pratique, les deux tendances apparaissent indissolublement couplées et forment ensemble un tronc pulsionnel unique, la pulsion de mort-de vie.
Ainsi, notre fond pulsionnel est fait d’une synergie, plutôt que d’un antagonisme, entre les tendances à aller et à échapper au vide. On a même des raisons de penser que cette synergie est à l’origine de la vie et que c’est elle qui la maintient. Et ceci à l’encontre des apparences, puisque la vie (aussi bien psychique que biologique) résulte de concentrations énergétiques, de tensions, et qu’elle les entretient. En fait, ces concentrations et tensions vitales témoignent de liaisons énergétiques qui, à leur manière, établissent une continuité et, donc, se conforment à la tendance fondamentale voulue par le principe de constance du vide. D’ailleurs, pourquoi ne pas émettre l’hypothèse que les pressions de l’évolution ont poussé certaines entités à transposer leur mémoire de la continuité du vide sur le plan de la continuité énergétique ? De même, il n’est pas impossible que nos entités psychobiologiques transposent la tendance à réduire la tension à zéro dans celle à effectuer des déplacements énergétiques. Sous cet angle, même si les déplacements créent des condensations locales et momentanées, ils jouent certainement en fin de compte le jeu du principe de constance du vide. Il est évident que la pratique sous-tend chacune de ces notions théoriques. Elle seule peut les valider ou les infirmer. A ce propos, il faut avoir présent à l’esprit que notre domaine expérimental, celui que nous pouvons vraiment investiguer, se trouve dans les entités psychobiologiques telles qu’elles s’expriment en séance et dans les co-pulsions agressives-sexuelles qui traduisent au niveau psychobiologique le dynamisme de la pulsion de mort-de vie. La technique micropsychanalytique vise précisément à atteindre le cœur du niveau psychobiologique, c’est-à-dire le ça.
Et effectivement, au plus profond du travail, la dynamique associative peut toucher certaines conjugaisons énergétiques-pulsionnelles du ça et partiellement les remanier. En analyse personnelle, cela survient en grande partie à l’insu de l’analysé, mais il en aura un témoignage par une modification de l’équilibre tensionnel au sein de ses entités psychobiologiques ou entre elles. En particulier, la dynamique des longues séances tend à cerner jusqu’au niveau du ça les fixations du refoulé, qui consistent en de véritables centrales de condensation énergétique. Lorsqu’une telle fixation est atteinte et que le travail a ouvert de nouvelles voies de décharge co-pulsionnelle, la surtension énergétique du refoulé se dégage automatiquement. Quant à lui, le micropsychanalyste a la possibilité de visualiser le fonctionnement synaptique par lequel la tension se métabolise aux différents niveaux de l’organisation énergétique du vide. Il peut donc intervenir adéquatement, au bon niveau, et si nécessaire en visant plus spécifiquement le pôle énergétique ou le pôle co-pulsionnel Prenons-en une illustration. Un analysé s’enferre à vouloir expliciter certaines répétitions par un traumatisme subi au début de sa seconde enfance, alors que d’autres éléments associatifs montrent que cet épisode remémoré forme écran à un refoulé situé beaucoup plus profondément dans le ça. L’analyste tentera alors de faire en sorte que les associations libres conduisent l’analysé à mettre en lumière des vécus conflictuels plus primaires, en rapport direct avec ce refoulé. Ainsi, en admettant que ces répétitions témoignent d’une angoisse de castration très précocement structurée, l’analyste ne laissera pas le travail se focaliser indéfiniment sur les co-pulsions agressives-sexuelles d’Œdipe. Au contraire, il amènera Œdipe-castration à se décanter jusqu’à ce que les associations creusent le vécu initiatique-oral. Là, l’analysé a une chance de pouvoir exprimer, à travers son vécu de la synapse enfant-mère, les désirs, l’angoisse et les peurs liés à la fusion et à ses ruptures. En revivant ainsi ses désirs, angoisses et peurs les plus primaires, l’analysé pourra en arriver à la relation fondamentale qu’il entretient avec le vide et à l’angoisse liée à la solitude psychobiologique de l’être en tant qu’il est fait d’entités énergétiques discontinues. A ce niveau, il appréhendera ses répétitions jusque dans leur nature de mécanisme vital inhérent à son terrain spécifique et à son vécu particulier de l’incompatibilité énergie-vide. S’il parvient à apprivoiser de cette façon sa peur du vide, il verra certainement se remodeler sa dynamique co-pulsionnelle et se rééquilibrer la tension noyautée plus tardivement. Ce qui tendra à désamorcer l’auto-entretien de la dynamique répétitive par les noyaux ontogénétiquement plus structurés.
Notes
1 Gesammelte Werke, vol. X, p.214
2 Gesammelte Werke, vol. XV, p.80
3 Gesammelte Werke, vol. V, p.67
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